paru dans : En attendant Nadeau, à l’écoute : prendre le large (19 novembre 2024)

L’ensemble des quatre films que Christophe Schaeffer, poète cinégraphique, donne à voir dans « La doublure du réel » est une fascinante rencontre d’un autre type avec le film court (lien sur l’image ci-contre). Depuis août 2022, il en a produit près d’une cinquantaine.
Un recueil de poèmes cinégraphiques* s’élabore au fil du temps, nous y découvrons un ensemble de vignettes qui pourrait sortir d’un livre de photo de Martin Paar ou de Vivian Maier. D’emblée, l’objet rencontré nous met au repos. Le regard porté par Christophe Schaeffer, comme la lumière incidente, fait surgir de la narration les mots de l’image. Des mains, des yeux, des jambes, des gens, en mouvement, le noir et le blanc, la couleur sous-jacente, la sensation que devant nous s’exposent des instants familiers. Le sujet, ce sont les autres. Christophe Schaeffer se glisse entre, dans l’intimité de l’autre. « En dupliquant le réel cela crée un autre monde » dit Clément Rosset. C’est ainsi que le processus de création de Christophe Schaeffer se met en place. Il capte, comme on le fait d’une source, ce réel toujours (p)roche. Il est un réalisateur géologue et nous plonge à sa suite dans les couches et les sous-couches du réel. En philosophe alchimiste, il compose avec la matière filmique et devient « un ordonnateur magique, un maître des cérémonies sacrées du réel » (Antonin Artaud). Sa chimie, sa lumière, césures, rythme des cadres, gros plans, univers sonore et temporalité nous embarquent avec délicatesse dans des instants de vie, des histoires communes dont nous sommes devenus acteurs. Dans les noirs de fin (le repos de la lumière) s’écrit le titre. Un poème se tient là sous nos yeux, le poème est film. Nous avons cru en reconnaître tous les mots, toutes les images, toutes les musiques, pourtant celui qui s’offre ici est unique en tout. Il nous entraîne au-delà de nous-même, dans sa proximité, pour « Arde e non luce »(Marsile Ficin).
Eric Blosse
